Je ne trouvais plus le sommeil. Je n'avais pas dormi sur mes deux oreilles depuis bien trop longtemps maintenant. L'empreinte de la fatigue s'imprégnait sur mon visage, mais je ne parvenais pas à me laisser aller aux bras de Morphée. À chaque fois que je me sentais basculer trop profondément dans l'inconscience, je m'éveillais, angoissée, sur le qui-vive. Je n'avais pas le droit de me plaindre, personne n'avait plus le sommeil qu'il avait d'antan. Et en un sens, j'avais eu « la chance » de goûter à l'organisation luxueuse du Grady Memorial Hospital. Les bancs de l'église ne pouvaient définitivement pas entrer en compétition avec les lits d'hôpital. J'y avais abandonné ma confiance. Les bruits étouffés de cris qui parcouraient en brise sourde les couloirs interminables raisonnaient encore dans ma tête. J'avais peur d'être la prochaine. J'avais peur de ses regards qu'il ne cachait plus, de ses insinuations de plus en plus douteuses.

Je me relevais doucement, épuisée de ruminer tous ces souvenirs. Ça n'aurait pas du autant m'atteindre, rien ne m'était arrivé. J'avais échappé au pire à plusieurs reprises dans cet endroit. Alors pourquoi revenait-il toujours sous forme de cauchemar ? Il était mort, je l'avais laissé mourir. Je n'étais même pas certaine de m'en vouloir. J'avais eu peur qu'il me fasse du mal et pour m'en sortir, je l'avais laissé mourir. Étais-je une meilleure personne que lui au final ? Je renfilais mes chaussures discrètement, le plus silencieusement possible. Je ne voulais pas attirer l'attention. Je n'étais revenue que depuis quelques heures, mais je n'arrivais pas encore à savourer ce retour. Comme si ce n'était pas réel. Que quelqu'un allait m'attirer de nouveau dans des abysses bien plus sombres. J'avais du mal à aller vers ceux qui m'avaient tellement manqué. J'avais pourtant eu envie de me jeter dans les bras de Daryl. Mais quelque chose m'avait retenu. Je ne l'expliquais pas. J'étais debout à présent et en ouvrant la porte de l'église pour me glisser à l'extérieur, je sentis son attention se porter sur moi mais je fuyais une nouvelle fois sa présence et son regard. Comme si je ne la méritais pas. Je lui devais pourtant tout, je le savais. Daryl ne m'avait pas abandonné. Il m'avait cherché et il m'avait retrouvé. Je lui devais la vie, c'était un fait incontestable qui devenait répétitif. Mais ils avaient tous risquer la mienne pour moi. J'avais l'impression de ne pas en être à la hauteur.

Je serrais fort le couteau dans ma main et la douleur au creux de ma paume était presque réconfortante. Je m'approchais près des arbres, j'avais besoin de pouvoir me cacher rien qu'un instant dans leur pénombre. Ne plus prétendre que tout allait bien, juste une seconde. Je laissais mon dos aller contre le bois en soupirant longuement, les yeux fermés. J'avais toujours peur de les rouvrir et de me retrouver de nouveau dans cette pièce trop blanche, trop aseptisée. D'être de nouveau prisonnière de cette démocratie factice qui régnait là-bas. Un râle bien caractéristique de la mort me força à retourner mon attention à la réalité. Je faisais un pas de côté, presque in extremis, alors qu'un rôdeur rampait pitoyablement vers moi. Il n'était plus que l'ombre d'un corps humain et j'en étais plus peinée qu'effrayée. Je m'agenouillais à ses côtés et après une seconde où je laissais ses doigts décomposés s'approcher de mon genoux, j'enfonçais brutalement la lame dans son crâne parsemé de cheveux. Et voilà, réellement morte. Moi, je ne l'étais pas. Et je voulais me sentir vivante à nouveau.

La tranquillité de la nuit craqua brusquement sous le bruit de pas, m'arrachant un sursaut irrépressible. Déjà, je récupérais le couteau laissé sur le cadavre pour me retourner vivement. Avoir plus peur des vivants que des morts-vivants en disait long sur cette dernière mésaventure. Mais le souffle court, je me rendais compte que je n'avais rien à craindre. Carol n'était qu'à quelques mètres de moi et après un instant d'incertitude, je baissais le bras, et par-là même mon couteau, dans un soupir de soulagement. « - Pardon, tu m'as fait peur. » Menacer mes amis n'était pas dans mes habitudes. Je me relevais pour lui faire face, examinant par l'occasion son état. J'avais tellement eu peur de la perdre. J'avais tout fait pour prendre soin d'elle là-bas et la voir debout était un réel soulagement. « - Tu te sens mieux ? Tu ne devrais pas sortir en pleine nuit, il ne manquerait plus que tu nous attrapes un rhume. » J'essayais une touche d'humour avec un petit sourire. Ça semblait dérisoire mais je n'avais pas envie de lui causer du soucis. La seule chose qui devrait la préoccuper en ce moment, c'était son rétablissement. Elle avait bien failli y laisser sa peau, j'en savais quelque chose. J'avais bien plus craint la mort en la voyant elle, cette image même de la force, alitée et pâle comme jamais, plutôt que lorsque cette balle avait frôlé ma joue.

Je ne savais pas trop pourquoi je ressentais ce besoin de fuir l'église et le groupe. J'avais pourtant rêvé toutes les nuits de me retrouver près d'eux. Maintenant que c'était chose faite, j'en venais à me demander si j'avais bel et bien ma place parmi eux. Je me posais toutes sortes de questions qui me torturaient inlassablement. Étaient-ils venus pour moi ? Ou bien parce qu'ils ne pouvaient pas perdre  un élément comme Carol ? Et ma sœur, m'avait-elle cherché ? J'avais appris qu'après l'attaque de la prison elle était partie à la recherche de Glenn, risquant sa vie pour lui. De manière égoïste, et je me détestais de penser ainsi, je lui en voulais de ne pas en avoir fait autant, pour moi. J'en venais à penser que je ne le méritais tout simplement pas. Je n'étais pas aussi forte que Carol, et je n'offrais pas la tendresse et le réconfort que son mari offrait à ma sœur. Je n'étais pas indispensable aux autres, à personne. Je n'avais pas voulu demander à Daryl, ni même à ma compagne d'infortune, comment elle était arrivée là. Si le brun m'avait réellement cherché après ma disparition de ce qui fut pour quelques temps, courts mais merveilleux, notre maison. J'avais peur de la réponse, de m'infliger un mal qui n'était pas nécessaire. Alors je ne parlais plus, me murais dans mes tourments.

Mais Carol en décida autrement. Je ne savais pas si elle avait remarqué cette distance que je m'imposais volontairement avec le reste de la troupe. Après avoir passé tout ce temps à l'hôpital à m'occuper d'elle, à ne pas lui lâcher la main et même à la veille la nuit, de peur qu'il ne lui arrive quelque chose dans son sommeil, c'était assez incompréhensible. J'étais étonnée de voir à quelle vitesse elle s'était remise de ses blessures. Cette femme était un véritable roc. Elle avait vécu tellement d'épreuve que c'était à peine croyable de la voir encore debout. Mais elle résistait, se relevait. Avec tellement plus d'aisance que moi. J'aurais aimé être plus comme elle. « - Ce n'est pas moi qui me suis faite renversée par une voiture. » Mais j'avais pourtant failli prendre une balle. Je souriais faiblement, pas surprise qu'elle se fasse plus de soucis me concernant que sur son état à elle. L'instinct maternel, elle ne l'avait jamais perdu. Je coulais un regard vers le cadavre que j'avais achevé un instant avant son arrivée. Il était vrai qu'au Grady Memorial, on perdait rapidement l'habitude des rôdeurs. Ils étaient enfermés dans un cocon, inconscient qu'il fallait justement accepter la réalité et ne pas attendre de miracle. Personne ne viendrait nous sauver, parce qu'il ne restait plus que nous. « - Ils me semblent bien moins monstrueux que certaines personnes que j'ai rencontré récemment... » Elle n'avait jamais rencontré Gorman. À vrai dire, elle n'avait pas beaucoup eu l'occasion de sortir de sa chambre. C'était pour le mieux, il n'y avait pas que des gens bien qui parcouraient les couloirs de cet hôpital. Dawn était une de ces personnes.

« - J'avais juste besoin de me dégourdir les jambes. L'air extérieur m'a manqué. » Je préférais la rassurer, même si j'étais intimement persuadée qu'elle avait déjà remarqué mon trouble depuis notre retour. Je ne mentais pas pour autant. Enfermée dans ce bâtiment, j'avais bien cru devenir folle. Contrairement à la prison, j'avais eu la sensation d'être étouffée, de voir petit à petit ces murs blancs, angoissants, se refermer sur moi. Et souvent, j'étais montée sur le toit, rêvant d'y trouver un échappatoire. Ou d'y voir au loin un visage familier. Son visage à lui, le plus souvent. « - Je ne vais rien faire de stupide ne t'en fais pas. » Je lui souriais une nouvelle fois avant de m'asseoir, le dos posé contre le tronc de l'arbre. Je savais que la plupart des gens m'attendait au tournant. J'étais Beth, cette pauvre fille qui avait voulu se foutre en l'air et qui allait certainement refaire quelque chose de stupide d'ici peu. Je n'étais plus cette fille. D'ailleurs, je n'étais plus une enfant, mais une femme. Je n'étais pas certaine que beaucoup avait remarqué ce fait.